Elles se font de plus en plus rares, les présentations à la presse pour lesquelles nous décomptons vraiment les jours des mois à l’avance. Celle de la nouvelle Kawasaki Ninja ZX-4RR était entourée en rouge dans mon agenda depuis le début de l’année. Le retour d’une supersportive de 400 cc, propulsée par un quatre-en-ligne bien saignant ? Il me tardait de l’essayer !
Texte Jelle Verstaen – Photos Kawasaki
Certes, votre serviteur était encore suspendu au sein de sa mère lorsque la première Kawasaki ZXR 400 provoquait déjà un sévère manque d’espace dans les pantalons des motards en herbe du monde entier. Cet avant iconique au phare double, un carénage digne de celui de sa grande sœur de 750 cc et une dotation qui faisait rêver de plus en plus vite et de plus en plus loin… tout le monde s’en souvient ! Malheureusement, les 400 se sont souvent avérées (trop) chères en termes de production, et la différence de prix minime (pour des performances inférieures) ont fait que le motard de l’époque a souvent opté pour une supersportive de 600 cc, voire d’un litre, sans passer par cette étape intermédiaire. Résultat : un chant du cygne regrettable et, surtout, prématuré pour la catégorie des 400.
Ou… pas tout à fait. Anno 2023 : la recette est dépoussiérée. Kawasaki, faisant fi de toute logique (financière), a, une fois de plus, sorti l’artillerie lourde : non pas un énième bicylindre parallèle mais un quatre en ligne plein de jus, de quoi freiner comme un trappeur, une suspension plus que décente, toute l’électronique que vous pourriez souhaiter et une bande-son à faire pâlir d’envie un pistard. Grande banane… derrière la visière garantie.
Une Ninja de 400 cc ? Déjà au catalogue Kawasaki, me répondrez-vous ! Oui, en effet : en parcourant la gamme, il faut avoir l’œil bien exercé pour ne pas confondre la nouvelle Ninja ZX-4RR avec la Ninja 400 actuelle. Des phares aux clignotants, en passant par les roues, la livrée KRT et le silencieux : on pardonnerait à un profane de confondre ces jumelles. Pourtant, les différences sont évidentes : il suffit de regarder les courbes d’échappement (quatre au lieu de deux, évidemment), la fourche UPSD, les deux disques avec étriers radiaux à l’avant, le (sous-)cadre plus visible, la prise d’air Ram-Air centrale sur le nez et l’arrière plus fin. Et en y regardant de plus près encore, les éléments de la ZX-4RR sont presque tous plus « matures » que ceux de la Ninja 400.
Le quatre cylindres 16 soupapes à refroidissement liquide de 399 cc peut, par exemple, compter sur deux arbres à cames légers et forgés en tête avec des soupapes plus grandes, des pistons en aluminium à faible friction, un volant d’inertie léger, de larges coudes d’échappement avec conduits d’équilibrage, un embrayage à glissement assisté, des corps de papillon de 34 mm contrôlés électroniquement et un calculateur identique à celui de la Z H2. Détail amusant pour les nostalgiques : avec un alésage de 57 mm et une course de 39,16 mm, le tout nouveau moteur n’est qu’un cc supérieur à la ZXR400 (398 cc) d’antan, avec à peine (4x) 0,16 mm de course supplémentaire au total. Au total, le quatre cylindres développe 77 ch (80 ch avec Ram-Air) et 39 Nm à 14.500 et 13.000 tr/min respectivement.
Mais ce n’est pas tout : le cadre treillis compact en acier est hérité de la ZX-25R, le centre de gravité et les angles (d’articulation) du bras oscillant ainsi que la tête de direction, entre autres, sont inspirés du WSBK, la fourche se voit partagée avec la ZX-6R et le mono-amortisseur monté au-dessus du bras oscillant vient de la ZX-10R (avec des réglages différents, bien sûr). Tandis que les très puissants monoblocs à montage radial à l’avant devraient fournir la puissance de freinage nécessaire. Peu de compromis en vue, à priori.
En termes d’ergonomie, la carte supersport a aussi été pleinement jouée : de la selle relativement haute (800 mm), en passant par les bracelets clip-ons, la bulle basse et aérodynamique, les repose-pieds hauts, le réservoir long et étroit, jusqu’aux leviers de frein et d’embrayage réglables (sur 5 positions). Du haut de mon mètre septante-trois, mes deux pieds touchent toutefois bien le bitume. J’ai beaucoup d’espace sur la selle pour bouger dans toutes les directions et j’observe étonnamment peu de pression sur les poignets tandis que mes genoux sont poussés vers un angle athlétique (45° ou moins). Les motards plus grands n’ont toutefois pas à s’inquiéter immédiatement : même mes collègues d’un mètre nonante et plus ont trouvé suffisamment d’espace entre le guidon et la selle pour se caser sur la ZX-4RR.
Allongé, le ventre sur le réservoir, je bénéficie d’une excellente vue sur le prochain atout de la Ninja ZX-4RR : l’écran couleur TFT de 4,3 pouces. Celui-ci affiche le mode de conduite sélectionné (Sport, Road, Rain ou User), le mode KTRC (antipatinage 1/2/3 ou désactivé), le mode de puissance (Full ou Low), l’indicateur du quickshifter et du Bluetooth, un véritable mode circuit (chronomètre, tachymètre et rapport sélectionné affichés en évidence) et toutes les informations habituelles. Un ensemble complet inédit pour une 400.
Presque aussi important que la moto elle-même : le circuit, théâtre de notre essai. Le Circuito de Calafat est un peu l’équivalent catalan du tracé de Mettet. 3,25 kilomètres, quelques lignes droites, une multitude de virages serrés (9 à droite, 7 à gauche), un joli dénivelé et quelques (triples) chicanes difficiles à négocier.
L’objectif est clair : prendre le plus de vitesse possible en virage, sortir le plus rapidement possible et monter au maximum du régime afin de réaliser les meilleurs chronos. Car si le quatre-en-ligne de 399 cc cache une puissance impressionnante de 77 ch, c’est du pied gauche qu’il faut aller la chercher. Lors des changements de vitesse, maintenez l’aiguille entre 10.000 (voire 12.000) et 15.000 tr/min et veillez à passer rapidement à la vitesse supérieure. En effet, les 1.000 derniers tours n’offrent que peu de puissance supplémentaire. Et le limiteur à 16.000 tr/min se déclenche impitoyablement une fois qu’on l’a atteint. Un rapport trop élevé (et donc un régime trop bas) ou un régime trop élevé (et le limiteur) et vous perdez immédiatement des dizaines de mètres par rapport aux autres pistards. De bas en haut, la réponse à l’accélérateur est très douce et on ne sent pas la puissance arriver avant 5.500 à 6.000 tours.
Alors que nous tirons tout ce qu’il y a à tirer, replié derrière le carénage dans la ligne droite, l’Akra (en option) fait hurler la moto tandis que nous passons de la 3e à la 4e à environ 15.500 tours, avant de taper rapidement la cinquième au bout du muret des stands pour plonger vers le premier virage. À une vitesse de pointe de 203 km/h, nous l’engageons dans un virage à gauche sans visibilité, après quoi il faut à nouveau rétrograder en deuxième. Les monoblocs radiaux sont sollicités. Avec beaucoup de feeling (et deux doigts), on met la ZX-4RR sur le nez. Après quoi, on peut la laisser dérouler jusqu’à l’apex. Des performances de haut niveau, sans perte de vitesse. Le quickshifter haut/bas montre aussi immédiatement sa valeur ajoutée : on passe les vitesses avec la poignée ouverte, avec un petit coup de gaz automatique et un bruit sourd. Très agréable !
La combinaison d’un poids de 189 kg et d’un empattement court de 1.380 mm permet de diriger la ZX-4RR facilement vers le prochain virage. Mais… Malgré mes « légers » 67 kilos, la fourche Showa SFF-BP de 37 mm se montre assez souple en termes d’amortissement. Kawasaki affirme avoir cherché un compromis entre le pilotage sur circuit et l’utilisation sur route. Et c’est particulièrement visible dans les portions plus rapides. En termes d’amortissement en compression, lorsque vous devez freiner fort en entrée de virage (et que la fourche plonge rapidement), mais aussi lorsque vous freinez vers l’apex pour accélérer en sortie de courbe, et que la fourche se relâche facilement. L’amortissement en détente est un peu trop faible. Si le rythme s’accélère, on remarque aussi sur les sorties de virages que la Showa BFRC Lite commence à pomper à l’arrière. Heureusement, après la première séance, les mécaniciens de Kawasaki sont là. Sur base de leurs précieux conseils et armé d’un tournevis, nous opérons quelques modifications.
À l’arrière, nous travaillons sur l’amortissement en compression (+1) et en détente (+¾). Tandis qu’à l’avant, nous fermons complètement la précharge du ressort. Bien que cela ne règle pas l’amortissement, le nez reste un peu plus stable sous la pression du freinage et se montre un peu plus doux dans les virages. À l’arrière, on peut régler davantage. Mais le déséquilibre entre l’avant et l’arrière s’accroît, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Nous le conservons donc, après quelques séances sur notre premier réglage.
Ce qu’il reste à faire, c’est veiller à conserver un certain équilibre de la partie-cycle, et prendre les virages avec autant de douceur que possible, histoire de maintenir la vitesse au niveau le plus élevé. En d’autres termes : un pilotage un peu moins « anguleux » que d’habitude, ce qui semble fonctionner à merveille. Après quelques essais, nous avons également trouvé notre réglage préféré en termes d’électronique : mode de conduite en Sport, Full Power, ABS désactivé (comme tout le monde, après la première session), KTRC en position 1 (pour le moins d’intervention possible sans l’éteindre). Et gaz !
Quant aux freins, il n’y a absolument rien à redire. Même après une dizaine de séances sur le circuit de Calafat, aucune dégradation à noter. Les monoblocs radiaux continuent de mordre avec sensibilité dans les deux disques de 290 mm à l’avant. Et vous plongez invariablement vers l’apex avec confiance. Un freinage brusque ou un freinage d’approche ? Aucun problème. Seul bémol : l’ABS ne peut pas être désactivé électroniquement et il s’avère un peu trop nerveux à l’accélération. Mais pour un usage sur circuit, il est par contre possible de déconnecter complètement le système.
De plus, le KTRC (réglage 1, le moins intrusif) se montre rapide comme l’éclair lors des interventions. De sorte que vous n’avez jamais l’impression que l’arrière va se dérober sous vos pieds. On entend souvent dire que l’antipatinage est totalement superflu sur les machines légères. Mais le système a prouvé sa valeur à plusieurs reprises lors d’une journée comme celle d’aujourd’hui. Ce n’est pas un luxe inutile, ni pour nous, ni pour les débutants sur circuit qui feront leurs premiers tours de roue au guidon de la ZX-4RR.
Bon, par où commencer ? Peut-être en tirant notre chapeau à Kawasaki, qui nous a déjà surpris en matérialisant une idée qui semble trop audacieuse, trop chère ou complètement inutile pour d’autres marques. Des Superchargers, des moteurs hybrides, des prototypes à hydrogène… Des choix de cœur, avec des tripes et des prouesses technologiques comme antibiotiques contre cette infection bactérienne qu’est la réalité en 2023. Et soyons honnêtes : avant de me mettre au guidon de la ZX-4RR, je craignais qu’un mélange d’excitation et de plaisir nostalgique ne débouche finalement sur une profonde déception.
Les attentes ont donc été dépassées. La Ninja ZX-4RR est, aujourd’hui, un bijou de haute technologie. Qu’il s’agisse de son équipement électronique incroyablement complet pour cette catégorie, de son moteur étonnamment puissant et de sa sonorité, de sa carrosserie KRT élégante ou de sa position de conduite à la fois sportive et agréable. Mais en plus, la Ninja ZX-4RR avance un gros avantage : les débutants comme les afficionados du chrono y trouveront leur compte. La réponse de l’accélérateur est douce comme du beurre, la suspension est indulgente et toute l’électronique est là pour rattraper les erreurs lorsque vous faites vos premiers mètres sur un circuit fermé.
Niveau tarif, 9.799 €, c’est déjà une belle somme. Mais cherchez un peu une machine de qualité identique proposant le même package… Certes, la Ninja ZX-4RR n’est pas tout à fait irréprochable. Les amateurs de chasse en basse altitude feront sans doute régler la fourche par un spécialiste et opteront rapidement pour des gommes différentes. Mais la liste des réserves s’arrête là. Il ne vous reste plus qu’à passer à la banque, alléger votre compte de 9.799 € et mettre le cap sur votre concessionnaire Kawasaki pour vous offrir le rayon de soleil de l’année !
MOTEUR
Type – 4 cylindres en ligne à refroidissement liquide
Cylindrée – 399 cc
Alésage x course – 57 x 39,1 mm
Soupapes/cylindre – 4
Taux de compression – 12,3:1
Carburation – injection électronique, corps de papillons 4 x 34mm
Embrayage – multidisques à bain d’huile
Transmission – boite à 6 vitesses, embrayage assisté
Entrainement final – chaîne
PRESTATIONS
Puissance maximale – 77 ch @ 14.500 tr/min (80 ch avec Ram-Air)
Couple maximal – 39 Nm @ 13.000 tr/min
ÉLECTRONIQUE
Moteur – Contrôle de traction (ajustable), modes de puissance, modes de conduite, quickshifter
Partie-cycle – ABS, éclairage LED, écran TFT avec connectivité
PARTIE-CYCLE
Châssis – treillis acier haute résistance
Suspension avant – fourche inversée 37 mm (Showa SFF-BP)
Réglage – détente et précharge
Suspension arrière – monoamortisseur (Showa BFRC Lite)
Réglage – compression, détente et précharge
Débattement av/ar – 120 mm / 112 mm
Frein avant – double disque semi-flottant 290 mm, étriers monoblocs radiaux à étriers 4 pistons
Frein arrière – simple disque 210 mm, étrier simple piston
Pneus av/ar – 120/70ZR17, 160/60ZR17
DIMENSIONS
Empattement – 1.380 mm
Angle de chasse – 23,5°
Chasse – 97 mm
Hauteur de selle – 800 mm
Poids en ordre de marche – 189 kg
Capacité du réservoir – 15 litres
PRIX 9.799 €